Des travaux précurseurs en imagerie médicale menés par le Dr Charles Cunningham, un scientifique chevronné au Sunnybrook Research Institute, pourraient démystifier la production d’énergie du cœur. Ils se fondent sur une nouvelle technologie pour mettre en lumière le fonctionnement interne du cœur. Somme toute, cette technique pourrait servir à prédire l’insuffisance cardiaque.
Pour battre environ 100 000 fois par jour, le cœur doit fabriquer un carburant spécial appelé adénosine triphosphate (ATP). Jusqu’à tout récemment, le mécanisme de production d’ATP a semblé être une sorte de test à l’aveugle. On savait que l’ATP était fabriquée à partir de glucose et d’acides gras, mais son processus de fabrication réel demeurait vague.
En 2016, une étude cofinancée par les donateurs de Cœur + AVC et publiée dans Circulation Research a décrit en détail la manière dont le Dr Cunningham et ses collègues ont retracé ce mécanisme en utilisant un sous-produit naturel du glucose, connu sous le nom de pyruvate. Pour suivre ce qui se passe dans les cellules, ils ont appliqué une forte charge magnétique au pyruvate avant de l’injecter chez les patients passant une imagerie par résonance magnétique.
Le pyruvate paraissant beaucoup plus lumineux dans l’image résultante, les chercheurs ont alors pu voir des réactions biochimiques qui se produisent dans le cœur, y compris la fabrication de l’ATP.
Cette technique d’imagerie, appelée IRM avec hyperpolarisation au carbone 13, s’avère souvent utile pour détecter l’insuffisance cardiaque, une maladie chronique où le cœur est incapable de pomper suffisamment pour répondre aux besoins de l’organisme. L’insuffisance cardiaque résulte de lésions ou de blessures au cœur. Quoique cette maladie est incurable, un diagnostic précoce permet aux personnes de la prendre en charge et de vivre plus longtemps.
« Des changements métaboliques précèdent très probablement la progression de l’insuffisance cardiaque à un stade ultérieur, explique le Dr Cunningham. Par conséquent, si on peut déterminer par imagerie les personnes qui vont évoluer vers cette maladie, il est possible de les traiter plus agressivement ou d’adapter le traitement. »
Le mécanisme requiert des études supplémentaires, mais les chercheurs ont établi que l’insuffisance cardiaque change la façon dont le cœur produit l’ATP. Un cœur sain utilisera le pyruvate. Toutefois, lorsque le cœur commence à faiblir, il utilise la graisse comme principal carburant, explique le Dr Kim Connelly, cardiologue à l’hôpital St. Michael, à Toronto, et coauteur de l’étude. À un stade ultérieur de l’insuffisance cardiaque, le cœur recommence à utiliser plus de glucose.
« Il ne s’agit donc pas d’un processus statique. [Le métabolisme] change en fonction de la gravité de l’insuffisance cardiaque et de ce qui cause cette maladie, précise le Dr Connelly. Avant cette étude, nous n’avions jamais disposé d’une bonne technique pour comprendre exactement ce qui se passe en matière d’oxydation du glucose et des graisses dans le cœur, et de ce qui arrive lorsque ces éléments pénètrent dans les cellules du cœur et sont transformés. »
L’IRM avec hyperpolarisation au carbone 13 permet de montrer ces processus. Et elle s’avère plus sûre que la tomographie par émission de positons (PET), qui repose sur le rayonnement pour diagnostiquer une insuffisance cardiaque. La nouvelle technique pourrait être intégrée dans une IRM cardiaque habituelle, en prolongeant uniquement cet examen d’environ 10 minutes.
Le Dr Cunningham envisage d’étudier l’imagerie métabolique chez les personnes souffrant d’une hypertrophie du cœur, ce qui les expose à un risque accru d’insuffisance cardiaque. En les suivant, il espère vérifier si le métabolisme du glucose peut servir de biomarqueur pour prédire la maladie. « Je pense que cela répondra à la question de l’utilité clinique de cette technique », dit-il.
L’accent est actuellement mis sur les applications cardiaques, mais le Dr Connelly précise que l’imagerie métabolique pourrait être utile dans d’autres domaines de la médecine. « Il n’existe aucune raison nous empêchant de mesurer [le métabolisme] dans le foie ou les reins afin d’obtenir des informations vraiment précieuses sur ce qui arrive aux personnes atteintes d’une maladie rénale ou hépatique, et aussi de fabriquer des médicaments sur mesure. Ces applications sont potentiellement beaucoup plus vastes », assure-t-il.
Cela fait plus d’une décennie que le Dr Cunningham a commencé à travailler sur cette technique. Son laboratoire a dû concevoir le matériel pour capter le signal et créer un logiciel qui a permis à l’appareil d’IRM de voir les changements chimiques survenant dans le corps tout en prenant une photo de l’anatomie du patient. Selon lui, la plupart des efforts visaient à garantir l’innocuité de l’agent de contraste.
Alors, quelle a été votre réaction quand, finalement, vous avez pu voir cette technique appliquée cliniquement après tant d’années de recherche et de développement?
« Ça a été une journée mémorable, dit le Dr Cunningham en souriant. Nous venions de faire un grand pas en avant. J’étais heureux. »