Vapotage : ce qu’il faut savoir

Le Dr Andrew Pipe, expert en abandon du tabac, parle de la crise de santé chez les jeunes et des choses qui doivent changer.
Divers dispositifs de vapotage sur un fond en bois

Les dispositifs de vapotage, aussi appelés « cigarettes électroniques », ont fait leur apparition il y a plus de dix ans. Ils ont été conçus pour libérer de la nicotine par de la vapeur chauffée, ce qui élimine la fumée et réduit les effets cancérigènes du tabac. L’idée était d’aider les fumeurs à diminuer les risques pour leur santé et de les encourager à arrêter de fumer.

Cette promesse s’est aujourd’hui transformée en un cauchemar de santé publique.

Le Dr Andrew Pipe est une sommité canadienne en matière d’abandon du tabac. Il est également président du conseil d’administration de Cœur + AVC. Nous lui avons demandé d’expliquer comment le vapotage affecte la santé et ce qui doit changer.

Comment cette crise a-t-elle commencé?

Les produits de vapotage ont évolué rapidement, en particulier au cours des quatre ou cinq dernières années. Maintenant, toute une gamme de dispositifs utilisant la nicotine sous différentes formes se retrouve sur le marché. Cette substance est parmi les plus addictives.

À l’échelle nationale, les produits de vapotage avec nicotine ont été légalisés en mai 2018, mais sans faire l’objet d’une réglementation digne de ce nom. C’était l’anarchie, essentiellement.

Andrew Pipe

De nombreux produits libèrent une quantité phénoménale de nicotine.

Le Dr Andrew Pipe

Nous constatons une explosion de l’utilisation de ces dispositifs, des différents liquides de vapotage utilisés, ainsi que des centaines d’ingrédients et de produits chimiques aromatisants ajoutés à ces liquides.

De nombreux produits libèrent une quantité phénoménale de nicotine, l’une des substances disponibles les plus addictives.

Qui utilise des dispositifs de vapotage?

Près de la moitié des vapoteurs sont des jeunes et de jeunes adultes.

La raison? Ces produits ont été publicisés de manière très dynamique en recourant aux médias sociaux et au même type de messages stratégiques que l’industrie du tabac utilisait il y a des années pour cibler les jeunes.

Selon les statistiques les plus récentes, 20 % des élèves de la 7e à la 12e année (l’équivalent de la 1re année du secondaire à la première année de cégep au Québec) sont des vapoteurs et 34 % ont déjà vapoté au moins une fois.

Une autre étude a révélé une hausse de 112 % du taux de vapotage chez les jeunes entre 2017 et 2019.

Beaucoup de ces jeunes ignorent tout à fait qu’ils vont devenir dépendants à la nicotine extrêmement rapidement. Une étude récente indique que près de 60 % des jeunes vapoteurs canadiens ont déjà tenté plusieurs fois de cesser de vapoter.

De nouvelles données probantes indiquent par ailleurs que le vapotage peut mener au tabagisme et à la consommation de cannabis.

Les entreprises de vapotage disent souhaiter que leurs produits soient utilisés seulement par des fumeurs adultes voulant cesser de fumer. Si elles sont sincères, on peut en conclure que leur stratégie de marketing est un échec total.

Que savons-nous des effets du vapotage sur la santé?

Il faudra peut-être attendre 20 ou 30 ans avant de comprendre entièrement les répercussions du vapotage. Toutefois, nous savons déjà que le vapotage est lié à des lésions respiratoires et à une augmentation de la pression artérielle. Nous savons également que, selon des études, les personnes qui fument et qui vapotent présentent un risque accru de maladies du cœur et d’AVC.

Nous avons également constaté des lésions pulmonaires aiguës résultant de l’inhalation des produits chimiques contenus dans les dispositifs de vapotage. L’enquête canadienne est toujours en cours, mais les autorités américaines ont établi un lien entre ces lésions et un additif ajouté dans des liquides à vapoter illicites contenant du THC.

Nous constatons également des répercussions sur le développement du cerveau des jeunes, la nicotine pouvant significativement y nuire. Les résultats d’une recherche canadienne sur le vapotage montrent qu’environ les 2/3 des jeunes vapoteurs consomment les produits dont le taux de nicotine est le plus élevé sur le marché. Ils vapotent sur une base presque quotidienne, de 19 à 30 fois par jour. Dans l’ensemble, nous avons donc une importante crise de santé publique à régler.

Les fumeurs adultes devraient-ils toujours avoir accès au vapotage?

Le vapotage est moins nocif que le tabagisme, mais il demeure tout de même dommageable. L’utilisation des dispositifs comme aide à l’abandon du tabac présente des avantages potentiels, mais les données probantes sont limitées et inconcluantes.

Selon moi, la faiblesse de la réglementation s’appliquant à ces produits a eu pour effet d’anéantir leurs avantages potentiels. Par conséquent, de nombreux organismes de santé, de revues faisant autorité et d’organismes professionnels déconseillent l’utilisation des produits de vapotage. Une réglementation et une supervision appropriées nous permettraient de commencer à envisager leur utilisation comme outils d’abandon du tabac.

Malheureusement, nous savons que la majorité des vapoteurs sont aussi des fumeurs, et donc ce qu’on appelle des « doubles utilisateurs ». Il est prouvé que la majorité des utilisateurs de cigarettes traditionnelles et électroniques augmentent leur risque global de souffrir de divers problèmes de santé.

Que faut-il faire pour gérer cette crise de santé publique?

D’abord, nous avons du rattrapage à faire. Le Canada a récemment déployé des mesures notables pour s’attaquer à la crise du vapotage chez les jeunes, mais il reste encore beaucoup à faire pour prévenir l’adoption du vapotage et réduire le taux de consommation chez les jeunes.

Nous devons adopter une approche globale, qui reflète les approches utilisées pour s’attaquer à l’utilisation des produits du tabac commerciaux. La réglementation gouvernementale devrait :

  • éliminer les arômes attirants pour les jeunes;
  • restreindre la publicité et la promotion;
  • réglementer le contenu des dispositifs et des liquides de vapotage, comme limiter la teneur en nicotine;
  • taxer les produits de vapotage afin d’en réduire l’abordabilité et en limiter l’accès pour les jeunes;
  • ajouter des mises en garde sur la santé pour sensibiliser les consommateurs aux risques;
  • restreindre la vente aux personnes de 21 ans et plus.

Toute une série de mesures politiques est donc nécessaire. Il faudra aussi, bien sûr, s’assurer de les faire respecter.

Il est encourageant de voir que les gouvernements provinciaux et fédéral ont commencé à s’attaquer à ce problème. Certaines administrations ont fait preuve de leadership à cet égard en adoptant des restrictions sur les arômes, le taux de nicotine et l’âge minimum d’achat, de même qu’en imposant des taxes.

En juillet 2020, le gouvernement fédéral a adopté une réglementation restreignant la publicité et la promotion des produits de vapotage auprès des jeunes. Toutefois, ce n’est qu’un début. Il y a encore beaucoup à faire pour empêcher les jeunes et les non-fumeurs d’avoir accès à ces produits nocifs. Nous avons aussi besoin de politiques qui protègent l’ensemble de la population canadienne, et non seulement les citoyens de certaines provinces.

Qu’est-ce qui fait obstacle à la réglementation exhaustive que vous aimeriez voir en place?

L’industrie du tabac fait maintenant équipe avec celle du vapotage. Forte de plusieurs dizaines d’années d’expérience dans la vente de produits nocifs et dans la création d’une dépendance chez les jeunes, l’industrie du tabac possède une capacité inégalée à mentir au public, à induire celui-ci en erreur et à s’opposer vigoureusement à toute forme de réglementation.

Cœur + AVC et d’autres organismes ont défendu activement le bien-fondé d’une réglementation en la matière auprès des gouvernements et des décideurs politiques dans toutes les provinces et tous les territoires du pays. Nous avons demandé aux gouvernements d’agir rapidement puisqu’il y a urgence concernant cet enjeu.