Alan Frew prend un stylo dans sa main droite. Ses doigts paralysés peuvent à peine le tenir. Il soulève son poignet à l’aide de son autre main, le dépose sur la feuille de papier qui se trouve devant lui et commence à écrire, lentement, les paroles de sa populaire chanson « Don’t Forget Me (When I’m Gone) », écrite en 1986.
Quand il a regardé la feuille de papier, Alan Frew n’y a rien vu de lisible, sinon quelques traces. « C’était comme si un insecte s’était simplement promené sur la feuille », se souvient-il aujourd’hui
Cette anecdote remonte au mois d’août 2015, quelques jours à peine après avoir subi un AVC dans son sommeil à l’âge de 58 ans. La vedette du groupe de synth-pop canadien Glass Tiger, lui-même d’origine écossaise, était couché dans un lit d’un hôpital de Toronto, le côté droit paralysé, un avenir terriblement incertain devant lui. Mais malgré tout, il avait déjà pris sa décision : il n’allait pas laisser l’AVC le définir.
M. Frew nous a parlé de son AVC, de la période qui s’est ensuivie et du long processus de son rétablissement. Un processus qui n’est toujours pas fini aujourd’hui.
À quel moment la réadaptation a-t-elle commencé pour vous? En quoi a-t-elle consisté?
Après l’AVC, mon épouse et ma fille ont pris l’avion pour venir me voir; elles étaient alors de passage à Edmonton. À mon chevet, elles m’ont dit « Ce que tu es aujourd’hui, ce n’est pas la personne que tu es vraiment. Nous pouvons te voir remonter sur scène, être cet homme que nous connaissons et que nous aimons, cet artiste et ce chanteur que le monde entier connaît. » Avant d’entendre ces mots, je pensais que ma vie était finie. En les entendant... je peux dire que c’est à ce moment-là que la réadaptation a vraiment commencé.
Mon neurologue m’a dit que tout était une question de mouvement, que même si j’avais l’impression que ma jambe et mon bras ne fonctionnaient pas, cela ne voulait pas dire qu’ils ne fonctionneraient plus jamais.
Et donc je me suis concentré pour bouger mon bras droit. J’ai essayé de toucher mon pouce avec mes doigts, de bouger mes orteils, de lever ma jambe sur le lit.
Et puis je bégayais beaucoup. J’ai donc essayé de parler chaque fois que j’en avais l’occasion. J’ai commencé des séances d’orthophonie. C’est à ce moment-là que j’ai écrit ces paroles.
Après huit jours, j’ai été transféré à un hôpital de réadaptation. On m’a demandé de faire différents mouvements, par exemple mettre la main dans un gros seau de riz pour en retirer de petits objets qui y étaient cachés. Je devais aussi ramasser des pièces de monnaie pour les mettre dans un pot. Ces petits exercices peuvent sembler humiliants; personne n’a envie de les faire. Mais le secret du rétablissement, c’est l’attitude que l’on a. Et donc je suis resté fidèle à ce que je m’étais dit : « Ce que je suis aujourd’hui, ce n’est pas qui je suis. Je ne vais pas laisser cette situation me définir. »
Qu’avez-vous ressenti quand vous êtes enfin revenu à la maison?
Pour être honnête, je m’étais bien habitué à l’hôpital de réadaptation et l’idée de retourner à la maison me faisait peur. Je pouvais marcher avec une canne, mais je devais faire vraiment attention. J’avais beaucoup d’inquiétudes : mon chien et mes chats allaient-ils me faire trébucher? Est-ce que j’allais débouler les escaliers?
Tout cela sans parler de la peur d’aller au studio. Je me suis donc lancé un défi. Notre groupe a prévu un concert. Un concert qui s’est vendu à guichets fermés, au printemps 2016, au Great Hall de Toronto. Je devais donc absolument retrouver ma voix avant cette date. Pour y arriver, pendant ces mois, j’ai fait une thérapie deux ou trois fois par semaine.
En fin de compte, le concert a été bien réussi et vous avez aidé à sensibiliser les gens à l’AVC, en plus d’amasser des fonds pour notre cause. Comment avez-vous vécu cette expérience, de parler en public de votre AVC?
Si je peux aider une personne à ne pas se sentir aussi stigmatisée, j’estimerais avoir fait du bon travail. Quand mon histoire est parue dans les médias, des milliers de gens m’ont écrit. Plusieurs m’ont remercié d’avoir parlé en public et m’ont dit que cela les avait aidés.
Qu’est-ce qui vous a aidé à vous rétablir?
Ma famille sait qu’il n’est pas nécessaire de toujours me tenir par la main. Par contre, j’ai besoin qu’on comprenne bien (et rationnellement) que ma situation, nous allons tous la vivre ensemble. Ma famille est là pour m’aider. Par contre, elle n’est pas là pour faire tout pour moi, comme si j’étais un enfant.
J’encourage les autres personnes qui ont survécu à un AVC à comprendre que les gens qui les aiment partagent leur expérience. C’est une expérience qui, pour le survivant, vient souvent avec beaucoup de frustration, de colère et de dépression, des émotions que vous voudrez parfois laisser déferler sur les gens qui vous entourent. N’oubliez surtout pas que cette situation, vous la vivez ensemble.
J’ai déjà suivi une formation d’infirmier autorisé. Aujourd’hui, j’ai un immense respect pour les excellents professionnels de la santé qui m’ont aidé et qui ont tant fait pour moi. S’ils vous disent de mettre la main dans un pot plein de riz ou de toucher votre nez, ce n’est pas pour s’amuser. Parfois, je leur posais des questions; n’hésitez pas à le faire. Par contre, de manière générale, vous devez surtout accepter la position dans laquelle vous vous trouvez.
Vous avez parlé de frustration et de dépression. Pouvez-vous nous parler un peu plus de vos émotions juste après l’AVC?
Au début, je me suis retrouvé dans une profonde dépression. L’AVC, quelle insulte à la condition humaine, quand même!
Avant qu’il ne me frappe, je travaillais sur un album, je me préparais à rassembler un groupe pour partir faire une tournée. Le lendemain? Je suis paralysé du côté droit, vestige brisé de la personne que j’étais. J’ai pleuré, souvent de façon incontrôlable, pendant trois jours. J’essayais de comprendre ce qui m’arrivait.
Il faut se permettre d’être brisé, de vivre son deuil de ce que l’on a perdu. D’accepter ce qui nous est arrivé. Et, une fois de plus, il faut s’ouvrir aux gens qui nous entourent.
La peur d’un nouvel AVC peut nous tenailler constamment si on ne fait rien contre. Des pensées nous reviennent sans cesse : « Suis-je une bombe à retardement? Est-ce seulement une question de temps? » Arriver à régler ces questions fait partie du traumatisme.
Et aujourd’hui, comment vous sentez-vous?
De l’extérieur, on dirait qu’il n’y a aucune différence. Les gens me disent « Hé, tu as l’air d’aller bien! » — mieux, même, qu’avant l’AVC. Mais la vérité, c’est qu’il m’affecte toujours. Ma main ne sera plus jamais la même. Mon bras non plus.
Certains jours, je vais bien. D’autres, non. Je ne serai plus jamais la même personne qu’avant l’AVC. Cette personne n’existe plus. Ce que je peux être, c’est la personne que je suis aujourd’hui. Cela dit, j’arrive toujours à chanter au sommet de ma forme.
Je fais très attention à mes médicaments et je nage tous les jours. J’ai réduit ma consommation de sel. Je fais attention à ce que je mange. J’ai perdu du poids.
Je suis passé à travers une période plutôt difficile où j’étais presque asocial. Quand je vais à des soirées où il y a beaucoup de bruit, mon cerveau en souffre terriblement. Aujourd’hui, la vie sociale, je la prends à petites doses.
Et étonnamment, il y a eu quelques points positifs à cet AVC. Je suis maintenant beaucoup plus conscient du temps que nous avons, nous les êtres humains. En un clin d’œil, nous pouvons disparaître ou nous transformer complètement. Reconnaissant cela, mon temps m’est beaucoup plus précieux.
L’AVC m’a montré que j’avais une force intérieure que je n’aurais jamais crue possible.
Et maintenant? Quelles sont vos prochaines étapes?
Mon prochain défi, c’est celui de raconter l’histoire de mon AVC au grand public. Nous avons filmé un documentaire; j’aimerais que des millions de gens le voient.
Glass Tiger a aussi 25 concerts prévus cette année. Et puis je vais aller terminer un album à Nashville. Je suis aussi bon qu’avant, peut-être même meilleur. Les coups de circuit, j’y arrive comme avant!
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