Une révolution vitale
Le traitement de l’AVC a beaucoup changé en 40 ans. Tout ça a commencé par un appel téléphonique de quelques neurologues.
Chapitre 1 Situation d’urgence
Nathan Pryor n’arrivait pas à saisir sa bouteille d’eau. Il était dans un centre d’entraînement physique d’Halifax pour son entraînement en parcours quotidien quand, tout à coup, sa main n’arrivait pas à attraper la bouteille. Au lieu de cela, elle la renversait à chaque tentative.
En quelques instants, Nathan, alors âgé de 38 ans, pouvait à peine bouger le côté gauche de son corps. Une entraîneuse, qui était en formation pour devenir ambulancière, l’a vu avoir des difficultés et a reconnu les signes d’un AVC. Elle a composé le 9-1-1.
L’ambulance a emmené Nathan au Centre des sciences de la santé Queen Elizabeth II en quelques minutes. Les ambulanciers ont alerté l’équipe de prise en charge de l’AVC qui attendait. Elle a rapidement fait passer un examen de tomodensitométrie (TDM) à Nathan. L’examen a confirmé qu’il était victime d’un AVC, causé par un gros caillot bloquant la circulation sanguine dans son cerveau.
L’équipe a installé une ligne intraveineuse pour commencer une thrombolyse, un traitement médicamenteux qui peut dissoudre les caillots sanguins et arrêter ou même inverser les effets de l’AVC.
Cependant, Nathan avait du mal à parler et ne pouvait pas sentir ou bouger son côté gauche.
Cet incident s’est produit en 2018. Dès les premiers signes d’AVC de Nathan, le traitement s’est déroulé aussi rapidement que possible. Cela a-t-il suffi à le sauver?
Chapitre 2 Idées révolutionnaires
En l’espace de seulement une génération, les choses ont beaucoup changé, dit le Dr Frank Silver, ancien directeur médical du programme sur l’AVC au Réseau universitaire de santé de Toronto et pionnier des soins de l’AVC au Canada.
Dans les années 1980 et 1990, l’AVC était l’une des principales causes d’invalidité chez les adultes, mais il n’existait aucun traitement et que très peu de moyens d’aider les patients. Parfois, le Dr Silver a dû défendre sa décision d’étudier la neurologie en se spécialisant en AVC. « Les gens me disaient qu’il n’y avait rien à faire pour l’AVC, que ça ne mènerait à rien. »
Heureusement, cette sombre perspective n’était pas partagée par le Dr Silver et un petit groupe de médecins armés d’idées révolutionnaires relatives aux soins de l’AVC. En quelques décennies, leur travail ambitieux, soutenu par Cœur + AVC, a changé ce qui se passe avant, pendant, et après qu’une personne subit un AVC.
Lorsqu’il a subi un AVC, à l’âge de 38 ans, Nathan Pryor a bénéficié des traitements les plus récents.
Entraînant la perte de 1,9 million de cellules cérébrales par minute, l’AVC est une urgence médicale.
L’acronyme VITE est un moyen facile de se souvenir des signes de l’AVC.
Au cours d’une journée normale, votre cœur pompe environ 7 500 litres de sang riche en oxygène dans votre corps. À peu près 20 % de ce sang doit se diriger directement vers le cerveau pour que ce dernier fonctionne correctement.
Une perturbation de ce flux peut entraîner un AVC. Environ 85 % des AVC sont causés par un caillot de sang qui bloque la circulation sanguine; c’est ce qu’on appelle un AVC ischémique. L’AVC hémorragique, moins fréquent, se produit lorsqu’un vaisseau sanguin affaibli se rompt et provoque un saignement incontrôlable.
Les recherches montrent que 1,9 million de cellules cérébrales meurent chaque minute après le début d’un AVC.
Comment peut-on limiter ces dégâts? La thrombolyse, un traitement médicamenteux capable de dissoudre les caillots sanguins, pourrait changer la donne. Elle était à l’origine utilisée pour traiter les crises cardiaques. En 1995, des essais cliniques ont été réalisés pour tester la thrombolyse comme traitement de l’AVC ischémique. C’est alors que les médecins ont commencé à être témoins de ce qu’ils appelaient le « phénomène de Lazare ».
Comme Lazare revenant d’entre les morts, certains patients ayant bénéficié de la thrombolyse se rétablissaient d’un AVC. Les médicaments arrêtaient les dommages au cerveau au moment où ils se produisaient. Cet effet n’était toutefois possible que lorsque l’on administrait le médicament dans les quelques heures suivant le début de l’AVC.
Cela constituait un problème à la fin des années 1990, puisque l’AVC n’était pas considéré comme étant une urgence médicale et que peu de personnes étaient en mesure d’en reconnaître les signes.
Chapitre 3 Limites de la sensibilisation
Le Dr Silver, accompagné d’un petit groupe de neurologues ontariens, a approché Cœur + AVC pour sensibiliser le public en espérant accélérer le traitement des gens subissant un AVC.
L’équipe voulait enseigner aux gens comment reconnaître les signes de l’AVC. Ils se sont toutefois rendu compte que la sensibilisation ne contribuerait qu’à remplir les salles des urgences, qui étaient déjà pleines à craquer. Tout le système de santé avait besoin d’une refonte afin de réduire les taux de mortalité et d’invalidité liés à un AVC.
Pour traiter un AVC assez rapidement pour bénéficier de la thrombolyse, l’hôpital doit disposer d’un tomodensitomètre. Plus important, encore, il faut un spécialiste disponible en tout temps pour interpréter les résultats et diagnostiquer l’AVC. Le traitement par thrombolyse est excellent, mais il ne convient pas à tout le monde. L’administrer à un patient souffrant d’un AVC hémorragique (saignements dans le cerveau) pourrait être mortel.
Coordonner l’équipement et l’expertise nécessaires au diagnostic et au traitement de l’AVC constituait un obstacle important.
Les traitements de l’AVC en phase aiguë nécessitent qu’un neurologue soit de garde pour traiter les patients en tout temps. C’était le principal problème pour certains spécialistes; il s’agissait d’un choc culturel important. L’équipe n’a pas été en mesure de persuader tous les hôpitaux de l’Ontario de lancer leur propre programme de traitement de l’AVC, mais elle a élaboré un plan visant à établir trois centres de soins de l’AVC, soit à Kingston, à London et à Hamilton. Un quatrième emplacement a par la suite été ajouté, à Toronto.
Cependant, ils se sont heurtés à un autre obstacle : une règle forçant les ambulanciers à transporter les patients à l’hôpital le plus près, peu importe les services qui y sont offerts.
Cœur + AVC a collaboré avec les ambulanciers et le personnel paramédical pour élaborer de nouveaux protocoles de transport des patients. Par la suite, en cas d’AVC suspecté, les premiers répondants pouvaient transporter le patient directement au centre de traitement de l’AVC plutôt qu’à l’hôpital local.
On a vu des résultats positifs assez rapidement dans les quatre centres d’essai. « Les preuves étaient convaincantes, a mentionné le Dr Silver. Les interventions amélioraient les résultats, réduisaient la mortalité et augmentaient les chances des patients de retourner à la maison, le tout sans augmenter la durée des séjours à l’hôpital. »
Le prochain défi était d’aller au-delà de ces quatre emplacements d’essai. Les soins de l’AVC nécessitaient davantage de financement. L’équipe devait présenter l’idée aux bonnes personnes.
Chapitre 4 Conclusion de l’entente
Au début de l’année 2000, Mary Lewis, alors directrice des relations gouvernementales de Cœur + AVC, a eu l’idée d’approcher l’Empire Club de Toronto, qui avait auparavant accueilli des conférenciers de renom comme Bill Gates et le Dalaï-Lama.
Le Dr Frank Silver ne jouissait pas de la même renommée que les conférenciers habituels du club. Cependant, lorsqu’il y a pris la parole en mars 2000, aux côtés de deux survivants de l’AVC connus, les gens l’ont écouté. Six semaines plus tard, le nouveau budget de l’Ontario consacrait 30 millions de dollars à l’établissement et à la dotation en personnel d’autres centres de soins de l’AVC en Ontario.
Peu après, un autre chercheur subventionné par la fondation, le Dr Antoine Hakim, a demandé du financement pour créer le Réseau canadien contre les accidents cérébrovasculaires (RCCACV), un organisme de pointe qui, en collaboration avec Cœur + AVC, effectuerait le déploiement des protocoles de soins de l’AVC dans le reste du pays.
Le RCCACV a été mis en place en 2000 et a établi les premières Recommandations canadiennes pour les pratiques optimales de soins de l’AVC (les « Recommandations »). Les directives ont rassemblé les recommandations les plus récentes fondées sur des données probantes sur la prévention, le diagnostic, le traitement et la réadaptation en matière d’AVC. Depuis la première édition, publiée en 2006, il s’agit d’une référence essentielle pour les professionnels de la santé partout dans le monde.
Le RCCACV a également financé Télé-AVC, un programme novateur dirigé par le Dr Silver, qui emploie la vidéoconférence pour établir un lien entre les hôpitaux situés dans de petites communautés ou des régions éloignées, et des neurologues spécialisés en AVC. Lorsque l’on soupçonne un AVC, le neurologue peut consulter les résultats d’imagerie du patient et conseiller l’équipe médicale locale pour le traitement. Des études ont démontré que cet accès immédiat sauve des vies et permet d’économiser de l’argent en soins de santé.
Lorsque l’entente de financement du RCCACV est arrivée à échéance, en 2014, Cœur + AVC est intervenue pour conserver les Recommandations.
C’était le bon moment. Peu après la passation des Recommandations à la fondation est survenue l’une des percées les plus importantes en matière de soins de l’AVC depuis la thrombolyse.
L’essai clinique ESCAPE a été mené par des chercheurs subventionnés par Cœur + AVC, les Drs Michael Hill et Andrew Demchuk, ainsi que par le Dr Mayank Goyal, tous de l’Université de Calgary. Ils ont employé des techniques d’imagerie de pointe et un appareil inséré directement dans les vaisseaux sanguins du patient pour retirer un caillot sanguin manuellement et rétablir la circulation du sang dans le cerveau. La procédure, la thrombectomie endovasculaire (TE), a permis de réduire de 50 % le taux de mortalité lié à l’AVC ischémique majeur et de diminuer considérablement le taux d’invalidité.
Les résultats de l’étude ESCAPE ont été intégrés aux Recommandations et ont changé la manière dont l’AVC est traité au Canada et ailleurs dans le monde.
« Le vaste réseau de Cœur + AVC fait en sorte que les données probantes récentes comme celles récoltées dans le cadre d’ESCAPE peuvent rapidement parvenir aux professionnels de la santé qui soignent les patients ayant subi un AVC, a souligné Patrice Lindsay, directrice du changement au sein du système de santé à Cœur + AVC. Cela garantit que les patients recevront les traitements adéquats dans le bon contexte et au bon moment, ce qui améliorera leur rétablissement. »
Elle a ajouté que la fondation surveille la qualité des soins de l’AVC prodigués partout au pays, ce qui est une autre façon d’encourager l’amélioration continue afin que les systèmes canadiens de soins de l’AVC soient reconnus mondialement.
Chapitre 5 Survie et prospérité
Au Centre des sciences de la santé Queen Elizabeth II, à Halifax, l’équipe de prise en charge de l’AVC avait déjà effectué des TE sur environ 200 patients lorsque Nathan Pryor est arrivé en ambulance ce jour de juillet 2018.
Alors qu’on lui administrait un médicament thrombolytique, l’équipe a déterminé qu’il pourrait bénéficier d’une TE et l’a préparé pour l’intervention.
« Immédiatement après la TE, j’ai retrouvé mes sensations », dit Nathan. Il a levé le pouce pour le médecin qui a pratiqué l’intervention, qui s’est montré très ému en voyant l’effet rapide de la procédure. Le lendemain, Nathan se sentait bien. Il était censé rester à l’hôpital pendant une semaine, mais est retourné chez lui seulement quelques jours plus tard. Un mois plus tard, il était de retour au travail, à la tête de son entreprise d’importation de vins.
Aujourd’hui, Nathan ressent encore certains effets de son AVC : sa main gauche tremble légèrement et sa démarche peut être instable. Cependant, il s’estime chanceux d’avoir échappé à de graves séquelles.
« Ce que je retiens de cette expérience, c’est que l’AVC peut toucher n’importe qui et qu’il est crucial que les gens sachent reconnaître les signes de l’AVC et soient au fait de l’importance d’être traité rapidement. C’est pour cette raison que je n’ai pas de séquelles graves : j’ai été traité aussi rapidement que possible », raconte Nathan.
Selon le Dr Silver, ce genre de résultat est ce qui est le plus gratifiant dans le cadre des efforts amorcés il y a tant d’années. « Notre équipe de l’AVC intervient. On voit des patients qui sont frappés d’incapacité en raison de cette maladie et qui, à la fin de leur traitement, se rétablissent très bien. »
« Aujourd’hui, ajoute Mme Lindsay, il y a des soins de l’AVC intégrés partout au Canada, ainsi que des systèmes mis en place afin que nous puissions faire de notre mieux pour aider la plupart des personnes ayant subi un AVC. En outre, la recherche sur l’AVC laisse présager d’autres progrès importants. »
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