Dr. West

Cœur

Un bébé, un cœur, un pas de géant

Personne n’avait jamais osé greffer le cœur d’un nourrisson à un nourrisson au groupe sanguin différent. La Dre Lori West croyait que sa découverte allait pouvoir sauver des bébés.

La Dre Lori West n’oubliera jamais cette nuit de l’hiver 1996. Elle s’était jointe à l’équipe chirurgicale dans une salle d’opération de l’hôpital SickKids de Toronto, où se trouvait un bébé très malade. Il s’appelait Caleb et avait à peine quelques semaines.

Caleb est né avec une hypoplasie du cœur gauche, l’une des cardiopathies les plus mortelles. On ne lui donnait une espérance de vie que de quelques semaines. Recevoir un nouveau cœur était sa seule chance de survie. Étonnamment, un cœur était devenu disponible. Toutefois, le groupe sanguin de Caleb ne correspondait pas à celui du nourrisson donneur. Selon la première règle dans le domaine de la transplantation d’organes, le groupe sanguin de la personne receveuse (A, B ou O) doit être compatible avec celui de la personne donneuse. Autrement, l’organe transplanté noircit et meurt sur la table d’opération, lorsque le sang commence à y circuler.

La Dre West, cardiologue pédiatrique titulaire d’un doctorat en immunologie de la transplantation, menait des travaux de recherche sur la transplantation cardiaque chez les nourrissons. Elle savait que les bébés ont un système immunitaire immature qui ne produit pas encore d’anticorps contre les autres groupes sanguins. 

Elle s’est donc penchée sur une question que personne d’autre n’avait jamais osé se poser : Un bébé peut-il accepter un organe provenant d’un bébé donneur ayant un groupe sanguin différent?

La Dre West a analysé les publications, effectué des tests préliminaires et mené des discussions approfondies avec l’équipe de transplantation chirurgicale et le comité d’éthique médicale. Elle était convaincue de sa théorie. Elle a ensuite fait part de ses conclusions aux parents de Caleb et a gagné leur confiance. Elle a obtenu leur consentement pour que leur enfant soit le premier à recevoir le cœur d’un bébé dont le groupe sanguin était incompatible. 

Le moment était enfin venu. En entrant dans la salle d’opération ce soir-là, la Dre West a senti une main se poser sur son épaule. Le chirurgien en chef s’est penché vers elle et lui a dit : « j’espère que vous avez raison ».

Ce moment dramatique résume des années de lutte pour les enfants et les familles sans espoir. Chercheuse subventionnée par Cœur + AVC à l’époque comme aujourd’hui, la Dre West nous a raconté cette première spectaculaire.

1996
Première transplantation cardiaque réalisée avec un donneur d’un groupe sanguin différent
Nora dessine sur son tableau blanc chez elle.

La recherche sur les transplantations cardiaques a offert à bébé Nora la chance d’avoir une vie bien remplie.

Logan et sa sœur Emma

Des avancées révolutionnaires dans la recherche cardiaque pédiatrique ont permis à Logan de s’épanouir malgré ses faibles chances de survie.

Charlotte chez elle, dansant dans l’escalier.

La recherche de pointe en cardiologie a permis de sauver la vie de Charlotte après une violente crise cardiaque.

La greffe cardiaque qu’a reçue Natalie lorsqu’elle était bébé lui permettra de vivre le reste de sa vie.

La recherche de pointe en cardiologie a donné à Abby l’énergie de participer aux Jeux mondiaux des greffés.

De sa première journée à l’hôpital à sa première journée d’école. La recherche sur la transplantation a transformé la vie de Charlie.

Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour la médecine de la transplantation?
J’ai réalisé qu’être cardiologue pédiatrique ne suffisait pas. Il fallait une surspécialité. La transplantation d’organes offrait des possibilités très intéressantes.

Lorsque je suis arrivée à SickKids après avoir obtenu une bourse de recherche, personne ne s’attachait à faire progresser la transplantation cardiaque en pédiatrie. Ce domaine m’attirait parce qu’il est question de prendre des décisions de vie ou de mort.

Je suis donc allée à l’Université d’Oxford pour étudier les notions de base de l’immunologie de la transplantation. J’étais la seule cardiologue du groupe, la seule personne qui s’intéressait à la transplantation cardiaque, et que dire de la pédiatrie. Quatre ans plus tard, je suis revenue à SickKids avec un doctorat et un bébé. C’est à ce moment-là que j’ai accédé au poste de directrice médicale du programme de transplantation cardiaque.

Qu’est-ce que l’hypoplasie du cœur gauche?
Elle fait partie d’un groupe de malformations cardiaques appelées cardiopathies univentriculaires. L’hypoplasie du cœur gauche, où le côté gauche du cœur est sous-développé, est probablement la plus répandue parmi ces cardiopathies. Auparavant, on l’appelait souvent « la pire des maladies cardiaques », parce qu’elle était incurable.

Qu’avez-vous dit aux parents de bébés nés avec cette cardiopathie?
Au début des années 1990, nous conseillions aux parents trois options. La première était de ne rien faire, et leur bébé mourrait puisqu’il s’agit d’une cardiopathie mortelle.

La seconde option était une série de chirurgies cardiaques étalées sur quelques années. Les enfants sont très, très malades au début de ce parcours chirurgical, mais on peut leur faire gagner du temps. Malgré cela, l’issue était plutôt sombre.

La troisième option était une transplantation cardiaque. Nous disions aux parents que leur bébé serait inscrit sur une liste d’attente, mais qu’il fallait savoir que les chances d’obtenir un don d’organe étaient très faibles.
 
Il n’y avait donc pas de bonnes options pour ces bébés. Comment cela vous a-t-il fait sentir?
J’étais très jeune à l’époque, mais je sentais dans mon domaine un haussement d’épaules généralisé devant l’hypoplasie du cœur gauche.

Après tout, c’est la pire des maladies cardiaques. L’attitude était plutôt du genre : « rentrez chez vous et réessayez plus tard. »

J’ai trouvé très troublant le fait de ne pas pouvoir en faire plus pour ces enfants.

Qu’avez-vous fait pour changer cela?
J’ai commencé à réfléchir à la manière d’élargir le bassin de donneuses et donneurs pour les transplantations cardiaques chez les nourrissons.

Tout d’abord, j’ai écrit une lettre à environ 300 organismes d’acheminement des organes aux États-Unis, simplement pour leur dire : « Nous sommes au Canada. Nous sommes là! Si vous avez des organes que vous ne pouvez pas placer, pensez à nous. »

Un jour, j’ai dû refuser un don parce qu’il n’était pas du bon groupe sanguin. Le bébé est mort. C’est à ce moment-là que l’évidence m’a sauté aux yeux : La plupart de ces enfants ne recevront jamais d’organes, et nous avons refusé des offres de don.

J’ai donc commencé à me demander pourquoi dit-on que le groupe sanguin doit absolument être compatible?

Le soutien de Cœur + AVC a été inestimable. Je ne pense pas que j’y serais arrivée sans ces premières subventions.
Dre Lori West - Chercheuse
Regardez la réaction du Dre Lori West lorsqu’elle a rencontré les 

Quels obstacles avez-vous rencontrés en explorant cette idée?
J’avais l’impression d’être devant une barrière sacro-sainte. L’idée de franchir la barrière ABO (groupe sanguin) était quelque chose d’impensable, car les conséquences seraient des plus catastrophiques.

Aussi, j’étais une cardiologue peu expérimentée pour proposer une telle avancée.

Franchir la barrière du groupe sanguin pour une transplantation rénale est possible, car la personne receveuse peut reprendre la dialyse en cas d’échec. Si la transplantation cardiaque échoue, la personne meurt.

Mais en en apprenant davantage sur le sujet, je me suis rendu compte que les règles suivies dans le domaine de la transplantation reposaient sur certaines hypothèses, dont celle selon laquelle on ne fait généralement pas de transplantation sur des nourrissons.

Quel était votre point de vue sur les nourrissons comme receveurs d’organes?
J’avais fait beaucoup de recherches sur le système immunitaire immature. Il est bien connu que les bébés ne produisent pas d’anticorps anti-ABO. De plus, le taux de mortalité très élevé chez les nourrissons sur la liste d’attente était un argument de poids. J’ai donc commencé à y réfléchir d’un point de vue scientifique et à en parler avec des hématologues et d’autres spécialistes.

Heureusement, l’équipe chirurgicale à SickKids était plutôt avant-gardiste et souhaitait repousser les limites traditionnelles. 

J’ai pris beaucoup de temps pour bien comprendre les données scientifiques; c’est dans la documentation scientifique que j’ai trouvé la plupart des renseignements dont j’avais besoin. J’ai pu ainsi expliquer pourquoi il était tout à fait raisonnable de proposer cette option.

Comment avez-vous trouvé une famille prête à prendre ce risque avec vous?
Je me souviens du premier appel téléphonique. C’était avec une famille de Winnipeg. Le bébé n’était pas encore né, mais un diagnostic d’hypoplasie du cœur gauche avait déjà été posé.

J’ai parlé avec la famille pendant deux heures ce jour-là. Je lui ai présenté les trois options que nous proposions aux familles à l’époque. Puis, je lui ai parlé de la possibilité de transplanter un organe au groupe sanguin incompatible.

Comme la famille souhaitait en savoir plus sur le sujet, elle est arrivée à Toronto alors que la mère était enceinte de 36 semaines. Après sa naissance, l’enfant a été inscrit sur la liste d’attente pour le don d’un cœur. Il est devenu de plus en plus fragile au fil des trois semaines d’attente qui ont suivi.

Et puis, un soir, on a reçu un appel.

Racontez-nous ce qui s’est passé dans les heures qui ont précédé l’intervention.
Un cœur a été offert à Caleb, mais il ne correspondait pas à son groupe sanguin.

Les parents de Caleb savaient que ce type de transplantation n’avait jamais été réalisé auparavant, mais ils comprenaient les risques et étaient ouverts aux nouvelles approches issues de la recherche.

Lorsqu’on leur a offert l’organe, ils n’ont pas eu beaucoup de temps pour prendre une décision. Ils ont pris un peu de temps pour réfléchir, puis ont décidé que c’était la meilleure opportunité pour leur enfant. Nous avons donc procédé à l’intervention.

Qu’avez-vous ressenti lorsqu’on vous a dit : « J’espère que vous avez raison »?
Oh, mon Dieu. Cela m’a fait l’effet d’un coup de pied dans le ventre. Je me suis demandé : « Et si j’ai tort? Et si j’ai tort? »

Je suis retournée dans le couloir et j’ai appelé un collègue qui avait une attitude très calme. Il m’a dit : « Tu as bien réfléchi. Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas ». Cette assurance m’a aidé.

Nous avons ensuite procédé à l’intervention. À ce moment-là, nous nous sommes presque installés dans une routine. La décision était prise; il fallait passer à travers. Pourtant, alors que je me penchais sur la table pour observer, une sueur abondante coulait le long de mon dos.

Quand avez-vous su que l’intervention était réussie?
L’équipe chirurgicale a retiré les pinces pour permettre au sang de circuler dans le cœur. Celui-ci n’a pas commencé à battre instantanément. Parfois, il y a quelques secondes d’incertitude. On attend un peu, ou parfois on retourne à la pompe. Je pense que nous avons simplement attendu.

Puis le cœur s’est mis à battre, et tout allait bien. 

Lorsque nous sommes passés de la salle d’opération à l’unité de soins intensifs ce matin-là, le père de Caleb a remarqué que c’était le 14 février. « Quelle merveilleuse Saint-Valentin! », a-t-il déclaré.

C’était en 1996. Comment cette transplantation a-t-elle changé la pratique?

La possibilité de transplanter un cœur provenant d’un nourrisson incompatible a considérablement augmenté le bassin de donneuses et donneurs pour un nourrisson candidat. De plus, au cours des deux années qui ont suivi, nous avons constaté une diminution du pourcentage de décès de bébés sur la liste d’attente, passant de plus de 50 % à moins de 10 %. 

Cette pratique est désormais courante dans les centres de transplantation pédiatrique du monde entier.

Et ça continue. Ce matin, une personne de l’université de Floride m’a écrit pour me dire : « Nous venons de faire cette transplantation, il y a cette chose... pouvez-vous nous en parler? ». J’ai reçu un appel semblable la semaine dernière de Newcastle, en Angleterre.

Quel rôle a joué le financement de la recherche de Cœur + AVC dans cette découverte?
Je ne me souviens pas de l’année où j’ai obtenu ma première subvention de Cœur + AVC; c’était peut-être en 1994, peu de temps après ma nomination professorale à SickKids. C’est ainsi que je me suis engagée dans cette voie, car nous pouvions alors faire les expériences nécessaires pour publier des données provisoires. 

Cela nous a permis d’obtenir une subvention de renouvellement, car nous avions fait des progrès. Le soutien de Cœur + AVC a donc été inestimable pour ce qui est de mes travaux de recherche. Je ne pense pas que j’y serais arrivée sans ces premières subventions.

Vous recevez toujours des subventions de Cœur + AVC. Sur quel sujet portent actuellement vos travaux?
Mon laboratoire travaille maintenant presque à plein temps sur les groupes sanguins ABO, en particulier dans le domaine de la transplantation.

L’un des avantages d’être à l’Université de l’Alberta, où je travaille depuis 2005, est de profiter des décennies d’expertise en chimie des glucides qui y a été acquise. Cela nous a permis d’aborder un autre volet de la recherche, soit les éléments chimiques de base qui composent les structures du système ABO. 

Nous avons travaillé avec des chimistes pour créer une nouvelle analyse sanguine beaucoup plus précise, fiable et exacte pour le dépistage des anticorps ABO. Nous pensons qu’il s’agit d’un grand pas en avant, y compris pour les transplantations cardiaques au-delà de la petite enfance. 

Cela étant dit, il reste encore tant de travail à faire dans le domaine de la transplantation. Il ne serait pas juste de passer sous silence les problèmes auxquels les personnes sont confrontées après une transplantation d’organe. Pour certaines, c’est un défi de prendre leurs médicaments comme prescrit. Pour d’autres, des années d’immunosuppression peuvent entraîner des effets secondaires, ce qui peut vouloir dire qu’elles auront un jour besoin d’un nouveau rein.

La transplantation n’est donc pas la solution à tout. Elle permet à une personne d’entamer son parcours; au moins, elle lui donne une chance de vivre. Nous devons toujours faire mieux, et nous ne pouvons avancer qu’en poursuivant les travaux de recherche.

Qu’est-ce que cela fait de savoir que vos recherches ont contribué à sauver la vie d’enfants dans le monde entier?
Les travaux de recherche ont de nombreuses répercussions, mais peu sont aussi profondes. Autrement dit, peu de découvertes ont un impact direct sur la vie de ces familles et de ces enfants, c’est-à-dire sur la vie ou la mort.

Cela me rappelle un courriel que Caleb m’a envoyé lorsqu’il a eu 18 ans. Il m’a écrit le jour de la Saint-Valentin, car c’est l’anniversaire de sa transplantation. Il a dit : « J’ai pensé que c’était le bon moment pour vous dire merci de m’avoir sauvé la vie. »